L'itinérance

« Gens des routes »

Parcours en itinérance apostolique

« Itinérance »? Voilà un de ces mots devenus à la mode ces dernières années, où l’on parle beaucoup également de nomades et de nomadisme… Pourtant ce terme renvoie à toute une tradition de l’Eglise et de la vie religieuse. Saint François d’Assise, Saint Dominique, Saint Ignace de Loyola, vont être à l’origine de mouvements d’itinérance « à la manière des apôtres », suivant ainsi le style de Jésus lui-même.

Car l’itinérance apostolique est au cœur de l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume. Comme le disait Edouard Pousset, prêtre jésuite qui demeura longtemps en Creuse (Les Forges) : « Jésus proclame le « Règne de Dieu s’est approché » (Mc 1,15 // Mt 10,7). « Qu’est-ce que le Règne de Dieu ? » Il ne le dit pas mais il nous en donne l’allure : « Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, un bâton excepté ; pas de pain, pas de besace, pas de menue monnaie ».

L’itinérance apostolique est avant tout une manière d’être dans la relation, dans l’imprévu et la gratuité de la rencontre, dans la disponibilité et l’amitié.

Depuis quatre ans, l’équipe ITER (en latin « le fait de marcher, le chemin, le voyage ») sillonne les routes de différents diocèses à la rencontre des hommes et des femmes de ce temps. En novembre 2002, en effet, une équipe s’est constituée, d’une douzaine de religieux et religieuses des familles franciscaine, dominicaine et ignatienne, la plupart ayant entre 35 et 40 ans. Après une première expérience dans les diocèses de Grenoble en juillet 2003 et de Bordeaux (juillet 2004) puis de Grenoble à nouveau (Toussaint 2004), nous sommes allés trois mois dans le diocèse de Poitiers (mars et juin-juillet 2005).

Chaque lundi matin, l’ensemble des membres de l’équipe se disperse, par deux, sur un secteur paroissial. Là, notre désir est avant tout de vivre l’Evangile avec d’autres. Nous croyons en effet que c’est dans la rencontre, toute simple et banale, souvent imprévue, entre les « gens des routes » et les « gens des maisons » que peut émerger une bonne nouvelle. Nous ne parlons pas souvent de Dieu ou de Jésus-Christ, à moins que les « gens des maisons » ne le fassent. Mais comme des « passeurs », par notre simple présence, ou par la parole, nous permettons parfois à d’autres, en échangeant sur ce qui nous rend humains, de reconnaître au cœur de leur vie une « expérience de révélation de Dieu». En fait notre présence en elle-même, en tant que jeunes religieux et religieuses de différentes spiritualités, intrigue souvent et renvoie à un Autre sans pour autant parler de Lui.

L’été, quand toute l’équipe est ensemble, l’itinérance se vit sous deux formes complémentaires. Certains sont itinérants sur les routes au gré des rencontres, en mendiant la nourriture et l’hébergement tous les jours, d’autres sont itinérants sur les routes en privilégiant la rencontre des communautés chrétiennes, particulièrement le soir.

Rendre possible cet événement de la rencontre, comme lieu de révélation de la Présence, comme lieu d’émergence de l’Evangile : voilà l’itinérance apostolique. Elle nous met au cœur de l’annonce de la Bonne Nouvelle du Royaume : « Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, un bâton excepté ; pas de pain, pas de besace, pas de menue monnaie ». Cette allure évangélique, qui dispose à l’expérience de l’Evangile, nous invite à aller sans « pouvoir », sans argent, sans « savoir ».

- Sans « pouvoir » : nous marchons sur les routes, à pied ou en stop, le sac sur le dos, pour nous rendre proches ; si nous y allions en voiture, la relation serait faussée.

- Sans « argent » : seuls nos frais de déplacement pour venir dans le diocèse nous sont remboursés. Pour le reste, c'est-à-dire essentiellement la nourriture et l’hébergement, nous dépendons de l’accueil des habitants, chrétiens ou non.

- Sans « savoir » : c’est ainsi, que nous venons sans stratégie ou programme préétabli, sans volonté d’enseigner. Cela change notre relation avec les personnes. Elles ne nous perçoivent pas d’abord comme « ceux qui savent » ou qui viendraient animer, former. Une relation différente s’ouvre : ensemble, nous sommes en recherche. C’est, en effet, à partir des rencontres et des liens qui se tissent peu à peu que se révèlent des attentes, des demandes. Elles sont à chaque fois discernées avec l’équipe d’animation paroissiale et les prêtres diocésains, avec lesquels nous sommes toujours en lien. En réponse à ces demandes nous pouvons faire diverses propositions : accompagnements spirituels, « retraites à la maison », parcours bibliques ou d’intelligence de la foi, relecture des engagements pastoraux, etc. Comme « itinérants » nous ne venons pas « apporter » quelque chose, mais « révéler » par notre présence, dans le plus ordinaire, ce qui est déjà là.

Par l’intermédiaire des chrétiens, avec lesquels se nouent souvent des relations d’amitié, nous allons en particulier à la rencontre des acteurs sociaux et politiques engagés dans la vie de la cité. Il s’agit pour nous de connaître le contexte local et de nous rendre présent là où il y a un enjeu d’humanité, particulièrement dans les hôpitaux, les entreprises de réinsertion ou de travail pour les personnes handicapées, les maisons de retraite…

Chaque fin de semaine, toute l’équipe se retrouve pour un temps de repos, de prière en commun, de partage et d’action de grâces à partir de ce qui a été vécu. C’est aussi le temps pour, ensemble, retrouver la communauté chrétienne locale le dimanche. Le lundi suivant, toute l’équipe repart marcher sur un autre secteur paroissial…

Le dernier mot sera à Jean Sulivan : « Vais-je vous inviter à devenir errants ou hippies ? Laissons là le folklore. Je vous invite à porter en vous de grands espaces, à vous sentir, intérieurement en vérité, étrangers, passants, pèlerins, à vous désencombrer de tout ce qui empêche la marche en avant.»

 

Et quelques articles:

Paru dans La Croix du 17/02/2006: Mendier, car Dieu mendie l'amour.

Une homélie du frère Carlos Alfonso Aspiroz Costa, op, sur l'itinérance apostolique.

L'article paru dans Eglise du Poitou, sur la mission autour de Niort, le 18 mai 2005.