Le dialogue interreligieux

Chemin de dialogue… chemin de vie

 

Automne 1219, entre les lignes des croisés et des arabes, deux personnages étranges s’avancent vers la ville égyptienne de Damiette devant laquelle les armées de la chrétienté ont mis le siège. François d’Assise accompagné du frère Illuminé part rencontrer le sultan Malek El-Kamil avec la ferme intention… de le convertir ! Picaresque ambassade : conduit devant le Prince, le pauvre d’Assise se met à vanter les mérites de son Seigneur, mort sur la croix avec l’amour et la conviction qui ont touché tant d’hommes et de femmes de son temps. Devant l’incrédulité du sultan, François propose que l’on allume un grand feu dans lequel il est prêt à se jeter avec un docteur de l’Islam. Le dieu qui fera sortir son héraut vainqueur de l’épreuve du feu emportera la foi de l’assistance. François était en effet venu pour mourir martyr, c’était le chemin, le témoignage qu’il recherchait depuis de nombreuses années.

Mais les chemins de Dieu se font parfois tout autres… Le sultan refuse ce défi et garde le « fou de Dieu » à ses côtés pendant quelques jours, l’écoutant et devisant avec lui. Il se quitteront dans un profond respect à la grande surprise des croisés. Etrange rencontre qui allait bouleverser en profondeur la vie de ce petit homme qui voulait vivre l’Evangile à la suite du Christ. Parti pour convertir un homme dans l’erreur… il fait la rencontre d’un autre croyant, d’un autre chemin pour louer le Dieu unique. Mystérieuse expérience dont il ne reparlera jamais plus au cours de sa vie. Dans la première version de la règle proposée aux frères, il tiendra cependant à faire figurer comme un des moyens de se rendre présent aux Sarrasins et autres infidèles de « ne faire ni procès ni disputes, (et d’) être soumis à toute créature à cause de Dieu. » (Rnb 16, 6) Programme surprenant en cette période de croisade et d’incompréhension exacerbée entre les deux religions. Programme d’une étonnante modernité qui n’échappera pas à Jean-Paul II quand il choisira Assise pour réunir, le 27 octobre 1986, les représentants de toutes les religions.


Cet héritage de François et du sultan est longtemps resté oublié : l’Eglise et le monde n’étaient pas prêts à la rencontre, même si chaque siècle a vu apparaître des témoins prouvant qu’un autre type de rapports entre religions était possible qui ne soit ni guerre ni indifférence (Raymond Lulle, les premiers évangélisateurs franciscains du Mexique, les jésuites d’Extrême Orient). Mais c’est le 20ème siècle qui donne ses lettres de noblesse au dialogue et notamment au dialogue interreligieux. Dans son encyclique Evangelii nuntiandi, le pape Paul VI parle ainsi du « dialogue comme du nouveau nom de la charité » (EN…). Devoir est donc fait à tout chrétien de vivre le dialogue avec les autres croyants. Mais en quoi cela peut-il consister dans notre monde où religion rime bien souvent avec guerre, intégrisme et intransigeance ? Comment dialoguer alors même que l’autre ne semble pas prêt à entrer en relation ? Et que se dire quand tout semble nous éloigner ? Tels sont les défis d’un véritable dialogue et de toute rencontre humaine. Car rencontrer l’autre, c’est entamer un chemin de foi… un chemin de vie au contact de la différence.


A la porte du dialogue pour le chrétien, il y a le guide : Jésus-Christ, celui qui n’a cessé de partir à la rencontre des hommes pendant sa vie terrestre, croisant ici et là des adeptes d’autres religions (un centurion, une cananéenne), discutant avec eux, allant même jusqu’à admirer leur foi (« Même en Israël, je n’ai pas trouvé pareille foi » Lc 7,9), et laissant finalement l’autre repartir, libéré mais fort de sa foi. A nous d’oser cette rencontre avec un a priori positif comme le Christ : savoir apprécier la foi de l’autre, la place de la prière dans sa vie, la valeur irremplaçable des actes qu’il pose, le sens qu’il donne à l’existence... savoir respecter son irréductible différence en somme.


Quelques pas plus loin sur le sentier du dialogue, il y a l’intérêt pour l’autre : « Qu’as-tu de neuf à m’apprendre sur Dieu ? » disait sainte Claire d’Assise sur son lit de mort à un frère qui s’approchait d’elle. Oui, qu’est-ce que le musulman, le juif, l’hindouiste, le bouddhiste a à m’apprendre sur Dieu ? Comment peut-il m’aider à me convertir plus en profondeur, à changer mon regard sur un Dieu dont je me fais souvent le propriétaire, un Dieu bien sage, à mon image, point trop dérangeant ?… C’est le temps de l’écoute, quand chacun apprend à connaître l’autre dans ce qu’il croit. Temps nécessaire de « l’apprivoisement » diraient le Petit prince et le Père de Foucauld.


Quelques courbes plus avant sur le sentier, il y a l’agir ensemble pour notre monde. Nos religions, si différentes soient-elles, n’en sont pas moins porteuses d’un message commun pour nos sociétés : celui d’un homme qui ne se fait pas mais qui se reçoit, et donc qui ne s’appartient pas, ayant une valeur inestimable aux yeux de Dieu ; celui d’un univers qui est avant tout création, qui nous est destinée, mais qui l’est aussi à tous les hommes d’aujourd’hui et de demain. Message enfin sur cette dimension essentielle de l’homme que l’on oublie si souvent et qui est sa croyance religieuse, son rapport à Dieu : une composante éminemment respectable et sensible qui, si elle n’est pas respectée, peut amener à détruire l’homme dans ses profondeurs.


Presqu’au sommet de la montagne, là où la sente disparaît dans l’alpage, il y a le vivre ensemble des croyants. Quand la foi de l’autre me permet de mieux vivre la mienne et de la creuser, certain que le musulman peut alors devenir meilleur musulman au contact d’un chrétien. Quand, comme à la Visitation, le Christ qui m’habite éveille l’autre à Dieu selon des voies qui m‘échappent totalement. Quand l’autre devient véritablement un frère, comme homme et comme croyant. Quand le regard se tourne alors en action de grâce vers Dieu toujours plus grand, toujours au-delà de mes petites vérités.
Chemin difficile et ardu du dialogue, chemin de patience et bien souvent d’incompréhension, chemin sur lequel bien souvent, comme le disait le frère Jean-Mohammed Abd El-Jalil, « le chrétien doit faire le chemin pour deux », mais chemin indispensable pour ceux qui se disent chrétiens et pour notre monde divisé. Frères et sœurs vivant la minorité en terre d’Islam, témoins d’actions d’associations dans les quartiers, acteurs d’un dialogue théologique entre les religions, la famille franciscaine se veut aujourd’hui porteuse de cet « esprit d’Assise » dont nous fêtons cette année les vingt ans et qui chante à la face du monde la nécessité de « rencontrer les autres croyants pour bâtir ensemble un monde plus fraternel ».

Frère Stéphane (revenant d’une année au Maroc)

Pour plus d’informations :

- Frère Stéphane a vécu une année au Maroc et étudie plus particulièrement les relations islamo-chrétiennes.
- Frère Frédéric-Marie a vécu 4 années au Japon. (sur les relations avec le bouddhisme)

Quelques ouvrages phares sur le dialogue :
- Gwénolé Jeusset « Rencontre sur l’autre rive » (Editions franciscaines, 1996)
- Pierre Claverie « Petit traité de la rencontre et du dialogue » (Cerf, 2004)

et quelques articles:

La vie de notre frère Charles-André Poissonnier (1897-1938) , un saint missionnaire en pays berbère, "le marabout chrétien aux mains qui éclairent !"

Une présence de Visitation à l'autre croyant. Une réflexion sur le dialogue interreligieux, à partir du mystère de la Visitation.

Et si l'autre devenait vraiment un frère! A la suite des caricatures du Prophète, parues dans la presse européenne en février 2006, une méditation sous forme de prière, un appel à vivre ensemble, de Mg. Vincent Landel, archevêque de Rabat (Maroc)

La rencontre de François et du Sultan: une méditation pour nous aider à aller plus loin.

Le témoignage d'un frère en terre d'Islam. Un extrait du journal d'un Frère.